vendredi 23 juillet 2010

LYON 1

Il m'arrive souvent de me demander si l'intérieur d'une personne ressemble à son aspect extérieur.
C'est aussi vrai d'un immeuble! La froideur austère d'une église romane par exemple est bien en accord avec son aspect massif et ses lignes simples. Il en est de même pour la luminosité chatoyante d'une cathédrale gothique, qui répond brillamment à la richesse de ses gargouilles et autres arc boutants tout en sculptures. Mais l'urbanisation est ainsi faite que même si l'architecte d'origine a organisé une unité entre le contenant et son contenu, le temps et les hommes transforment tout. La maison du paysan du dix neuvième siècle, crépi sommaire et toit de tuile, est reconstituée. Pourtant elle cache désormais la résidence secondaire d'un parisien fortuné et stylé, qui entend regarder son écran plat au salon, comme dans son loft citadin. Et sa cuisine intégrée n'intègre en fait qu'un vague souvenir de fourneau ou de potager.
Durant quinze ans je suis fréquemment passé devant l'hôtel Carlton de Lyon, typiquement 1900, balcons ouvragés, formes marquées du début du dernier siècle.

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hotel par agayfriday licence cc
hotel par agayfriday sous licence cc

S'agissant de l'un des hôtels les plus prestigieux de cette époque glorieuse pour la France, je me demandais si...l'intérieur ressemblait à l'une de ces chaînes d'hôtels actuelles stéréotypées. Durant des années le suspense s'est maintenu, car sous quel prétexte irait-on dans un hôtel trop cher de sa propre ville? Il a fallu plusieurs hasards pour que je sache enfin ce que cache l'immeuble de 1893.
J'ai quitté Lyon il y a presque dix ans, ce qui, on en conviendra, donne une bonne excuse pour y revenir en touriste. Puis les personnes qui m'hébergeaient à l'occasion ont déménagé elles mêmes, et enfin le génie internet m'a proposé une chambre à Lyon dans mes prix dans cet hôtel! Et c'est d'un pas hésitant que j'ai pénétré le saint des saints.

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entrée par agayfriday licence cc
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Une atmosphère délicieusement surannée m'a aussitôt environné. Au comptoir boisé un maître d'hôtel charmant m'a donné une grande clé au laiton gravé du numéro de ma chambre, assortie d'un pompon d'époque.
Puis le tapis m'a mené à la porte ferronée de l'ascenseur. Et à mon grand ravissement j'ai ouvert cette porte délicieusement grinçante, avant de pousser les deux battants de bois qu'il faut tenir pour entrer les valises. Si l'on ne pense pas à claquer la grille et les battants, rien ne bougera. Et en sortant il faut veiller à renouveler la procédure en sens inverse, et bien refermer, faute de quoi l'ascenseur antique resterait bloqué à l'étage.

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ascenseurpar agayfriday licence cc
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Du reste le personnel de l'hôtel dans son infinie patience parcourt régulièrement les étages pour pallier l'étourderie de ses hôtes modernes. Le tapis moelleux et chargé ne quitte pas nos pieds, tenu par les barres de laiton dans l'escalier. Les vitraux de l'escalier ont l'air fondus d'hier, il y a plus de cent ans. La chambre n'a pas démérité, marbre dans la salle de bains, papier peint et appliques cuivrées au mur.

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chambre par agayfriday licence cc
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Les doubles fenêtres nous ont beaucoup mieux isolé du bruit de la grande ville que nos doubles vitrages contemporains.
L'harmonie règne, de la façade au creux de l'ascenseur.
Mais comment le personnel a-t-il maintenu la douceur de son accueil délicat et aimable après cent dix sept ans?

jeudi 15 juillet 2010

FEU D'ARTIFICE

Qui donc a tricoté le nom de mon asile en ce timide juillet,
le cordonnier fluvial a t-il éternué "Cale de la savatte"?
Ce soir mon dos appuie sur la pierre bleue, ardoise offerte du ventre de Trélazé,
et sa fraîcheur amère délivre les flux de mon être attisé par la tendre liberté.
Tandis que l'adulte reçoit les milliers de pupilles allumées
et la verdeur de la foule embrumée du crépuscule discret,
mon Ame enfantine fuit sans autre désir que frôler l'eau,
imitant la libellule, et embrasse en la snobant l'onde sur la rivière calme.
Le pont est grisant, massif et généreux, il La pousse en avant,
tout près des feux sur leurs radeaux mouvants
que le clapotis accroupi décalque en raclant sa colère.
Elle fume et brûle en détonnant la poudre d'un chinois millénaire,
Elle canonne et jaillit dans la lune en étincelles foudroyantes,
galaxie éclatante promise à l'existence du dragon flamboyant,
explosion de ferveur, dans un ciel ruminant sa solitude éternelle.

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Elle meurt en un instant mais renaît en cascade,
la forteresse noire l'habille de son manteau scintillant,
Elle coule de ses douves à l'orage papillonnant d'une nymphe esseulée,
avant de fleurir langoureusement dans l'inconnu creuset
d'une étoile offerte aux yeux de la terre étonnée.
Elle vole au loin dans l'immensité glacée,
petit frère du soleil et néanmoins demeure immense,
Elle court dessiner le visage éphémère du palais de cristal,
et Elle pleure les gouttes de verre incandescent
que les fourneaux d'héphaïstos attendront vainement.

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Mais vite, l'ombre protectrice se dissipe,
Et dans un dernier hourra Elle illumine à rebours
Elle crie, siffle, moissonne en semant,
des bractées de pétales s'émerveillent à tous les vents.
Mais les lueurs de la ville L'appellent,
il faut rejoindre et aimer à nouveau ce corps fusionnant.
Angers agayfriday tous droits réservés
Angers par agayfriday tous droits réservés
Le grand moi L'accueille dans l'indulgence car la jeunesse lui est douce,
et il a communié joyeusement avec la multitude profane.
Je me lève engourdi, la fête est nationale,
pourtant Babylone est ici, présente,
dans toutes les langues que ce peuple qui m'environne babille,
et je comprends leurs mots car ils n'en ont qu'un : lumière.

vendredi 9 juillet 2010

LE SENS DE LA VIE

Après avoir revendu son site internet à grand succès à des financiers, Logan s'offrit une merveilleuse année sabbatique. A vingt huit ans il n'avait jamais connu que les écrans d'ordinateurs et la gestion de sa startup. Au point de n'avoir même pas pris conscience de sa réelle notoriété. Avec délices il se plongea dans un univers de plaisirs et sorties sans fin. Les six premiers mois il se piqua au jeu et adorait la compagnie de ses nouveaux amis. Il tenta sincèrement de prendre goût au champagne et aux plats raffinés, et considérer naturel de finir ses journées au petit matin. Le casino et son hôtel était sa seconde maison, il n'était jamais seul. Mais après un an les lendemains de fête se firent plus tristes et répétitifs.
Il se demanda quoi faire de sa vie. Ne trouvant pas de réponse évidente, il entreprit de questionner son entourage. Las, ses amis, riches ou moins riches, semblaient n'avoir d'autre but que s'amuser et tromper l'ennui. Mais Logan avait cette lucidité qui l'obligeait à chercher plus loin que les autres. Il décida de découvrir le vrai sens de la vie.
Il s'aperçut que les couvertures de magazines qu'il avait fait, et sa fortune, lui permettaient d'obtenir des entrevues avec qui il voulait. Il rencontra donc les plus grands savants, qui lui donnèrent une idée des mystères de l'univers, et de leurs passions, mais ne le renseignèrent pas sur le sens de la vie. Il rencontra des dirigeants de ce monde, mais aucun ne l'éclaira sur son interrogation. Les principaux guides spirituels ne lui délivrèrent que des doctrines toutes faites. Puis un prix Nobel lui ayant dit que sa question relevait de la philosophie, Logan organisa une croisière à laquelle furent conviés les plus grands philosophes. Tous, intéressés par le sujet, et flattés par les conditions, acceptèrent. Après un mois de colloques et de réflexions, le porte parole lui délivra le point de vue de la philosophie contemporaine : La quête du sens de la vie était une question de philosophie absolument passionnante, mais la philosophie s'intéressait plus à la question qu'à la réponse.
En désespoir de cause, il se tourna vers les journalistes, dont le métier était de chercher la vérité, et leur demanda s'ils connaissaient quelqu'un pouvant le renseigner sur le sens de la vie. Après plusieurs mois, il interrogea un reporter qui avait fait de nombreuses fois le tour du monde et fréquenté une multitude de peuples. Celui-ci lui dit qu'un sage, un véritable puits de science, s'était retiré dans la montagne la plus reculée de l'Himalaya vingt ans auparavant. Logan prit donc l'avion, et après cinquante heures de voyage, parvint dans le village isolé. On lui indiqua de suite que le sage, déjà vieux à l'époque, n'avait jamais réapparu. Mais dans son infinie sagesse il avait peut-être survécu des maigres ressources de la montagne. Les villageois parlaient de lui avec une crainte respectueuse, mais certains acceptèrent de lui servir de guide car ils avaient une idée de l'endroit où il pouvait s'être retiré. Après plusieurs jours de marche, ils arrivèrent au bord d'une minuscule vallée, mais ses compagnons refusèrent d'avancer : de petits monticules de pierres disposés en pyramide leur indiquaient que l'ermite ne souhaitait pas être dérangé. Mais si l'étranger souhaitait continuer, il pouvait le faire. Eux camperaient sur place en l'attendant. Logan poursuivit donc seul. Des traces de vie étaient visibles dans la vallée. En suivant les empreintes, il arriva à l'entrée d'une caverne. Au milieu de cet espace une forme humaine était accroupie.

huang shi kun par hannah domaine public
Huang shi kun par hannah domaine public
Saisi par le silence et la solennité du lieu, Logan choisit de s'accroupir en face de l'ermite, maigre et parcheminé. Celui-ci ouvrit calmement les yeux et le fixa avec une grande profondeur. "Maître, dit Logan, je ne veux pas vous déranger, mais j'ai parcouru de nombreux kilomètres pour vous trouver et vous poser la question qui m'obsède : pouvez vous me dire quel est le sens de la vie?" puis il attendit respectueusement. Le sage le fixait toujours sans ciller puis d'une voix grave prononça lentement les mots : " La vie est un fleuve". Et il referma les yeux dans le silence et l'immobilité absolus. Logan finit par se lever et à la tombée de la nuit rejoignit ses guides.
Il leur fit part de la rencontre, et ils discutèrent tard dans la nuit.
Mais au matin Logan leur demanda de patienter encore un jour, de façon à y retourner. Il se présenta à nouveau à l'entrée de la caverne, le vieux sage était dans la même position. "Maître, je n'ai pas bien compris votre réponse, hier, quel est le sens de la vie?". L'ermite rouvrit les yeux, le fixa et dit "la vie est un fleuve". Puis il referma les yeux et ne bougea plus.
Logan, rentré auprès de ses compagnons ne dormit pas de la nuit, cherchant la signification de cette phrase énigmatique. Puis au matin, n'y tenant plus, il se présenta encore dans la vallée. Épuisé et énervé, en arrivant devant le sage il ne se contrôlait plus que difficilement et son ton était chargé de tension :" Je n'y comprends rien, la vie est un fleuve, la vie est un fleuve, ça ne veut rien dire! Je vous demande le sens de la vie et ne me dites pas que la vie est un fleuve ou je ne réponds pas de mes actes! " A ce moment les yeux de l'ermite s'ouvrirent, se remplirent de larmes et il dit d'une voix plaintive :"Pourquoi, c'est pas ça?"

jeudi 1 juillet 2010

TOI L'ENFANT

Quand j'avais cinq ans , je voulais que tu arrives, toi l'enfant qui ferait de moi un grand. Pour n'être plus le petit, celui dont personne ne semble se rendre compte qu'il a tellement grandi. Il fallait avouer que l'écart avec le reste de la famille ne paraissait jamais se réduire, malgré mes efforts pour les rattraper, tous. Comme je me voulais extrêmement réaliste, je planifiai que tu viendrais dès je serais grand, à défaut de m'épauler à ce moment.
Je savais bien que seules les femmes deviennent mères. Lorsque j'eus sept ans je compris que j'aurais à me marier avant que tu ne naisses, puisque l'ordre devrait être respecté. J'étais bien plus intéressé par les garçons que par les filles qui me tournaient autour, mais cela ne remettait rien en cause. J'épouserais une mère, et je vivrais avec un garçon, comme le gentil avec lequel je jouais dans la cour de l'école. N'importe laquelle de ces filles un peu superficielles conviendrait parfaitement, et j'en laissai approcher une, pour le cas où ce serait utile. Mes parents virent cela d'un très bon œil, et elle fût invitée avec insistance à la maison. Prescience d'adultes sur ma vraie nature ou hasard, ils favorisèrent au maximum cette succession de relations féminines qui n'était pour moi qu'un passe-temps.
Mes vrais béguins portaient le cheveu court et n'enfanteraient jamais. Ils passèrent dans ma vie sentimentale de façon très platonique durant des années, puis de moins en moins platonique. Les filles restèrent présentes longtemps et j'acceptai même de jouer à celui que je n'étais pas, pour faire comme tout le monde. Mais lorsque les choses sérieuses commencèrent, tu restas dans les limbes, pendant que je testai l'amour des hommes.
Je pensais à toi de temps à autres mais je ne voyais pas comment t'accueillir sur terre sans transformer ma vie et celle d'une amoureuse sincère en enfer. Déjà qu'entre seize et dix huit ans mes tentatives pour t'ouvrir une brèche avaient torturé quelques innocentes victimes de mon irresponsabilité, il était inutile de s'acharner. A mes vingt-cinq ans une amie me proposa de te concevoir en pleine connaissance de cause, je fus ébranlé par sa conviction.

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Baby boy par Nils Fretwurst sous licence GFLD
Baby boy par Nils Fretwurst sous licence GFLD

Jamais tu ne frôlas d'aussi près l'existence.
Mais ton destin me parut hasardeux, et te causant peut-être un choc terrible, je dis non, je ne le veux pas. Savais-tu que ma déception ne l'était pas moins, et que cette décision me pesa des années? Mais je m'habituai, et mon lien avec toi se distendit. Je tentai de t'oublier avec ingratitude.
A mes trente ans mes convictions scientifiques et mes résolutions de stérilité vacillèrent. Plus pour rire, je visitai une médium conseillée par des collègues, elle me fit une liste de mes futurs déménagements, emplois, relations sentimentales. Je la fréquentai durant six ou sept ans car tout ce qu'elle me prédisait se réalisait. Elle me prédit aussi, que tu déboulerais dans ma vie dans un futur lointain, d'une manière qu'elle qualifia de non-conventionnelle. Sans en être consciente, elle rouvrit ainsi la vieille blessure.
Il est étonnant que seule cette annonce là ne soit pas encore réalisée, à l'orée de ma maturité, alors que presque tout le reste est accompli.
Mais il me faut reconnaître que tu n'es pas là. Et je dois aussi avouer que ton espace au fond de mon cœur n'est toujours pas comblé.
Et si aujourd'hui quelqu'un me disait que c'est simple et qu'il est temps que tu nous rejoignes, je répondrais "oui, je le veux". Mais toi, le voudrais tu?