jeudi 20 octobre 2011

MECENAT D'AUJOURD'HUI

En tant qu'ingénieur commercial je me devais de fréquenter mes clients importants dans leurs hobbies, pour instaurer une relation amicale. Il m'est donc arrivé d'applaudir au tennis les performances d'un quinquagénaire transpirant, ou de tenter un squash avec un sportif du dimanche néanmoins directeur informatique. Parfois j'avais de la chance. Ce soir-là j'avais rendez-vous dans la galerie d'art personnelle de ce chef d'industrie milliardaire. 
Après avoir montré patte blanche à l'entrée, je fus abordé par une maître d'hôtel me demandant mes préférences culinaires pour le repas qui suivrait ma visite. Une attention délicate lorsqu'on est invité pour un dîner mondain. On descendit un escalier interminable, car la galerie était installée dans une station de métro désaffectée achetée par le magnat. 
En arrivant sur le quai, je fus accueilli par un grand écran diffusant l'extrait du journal télévisé qui annonçait le décès de David Hockney, peintre célèbre de la fin du 20ème. A la fin de l'hommage, l'image se brouillait, devenait diaphane et laissait place à un écran noir, avant que l'écran ne s'éteigne complètement. Pour se rallumer sur le même extrait de journal quelques secondes après. Une sensation bizarre, cette nécrologie éternellement renouvelée. 
Plus loin mon client vint à ma rencontre. Après les salutations d'usage, il entreprit de me montrer les pièces de la collection. Une vitrine de la taille d'un grand aquarium comportait deux étages avec des figurines de personnes en plein travail de bureau, comme la coupe d'un immeuble de La Défense. En appuyant sur le bouton, la vitrine s'illumina, nimbant les silhouettes de lumière blanche et vive au point de les rendre invisibles. A la place, les hologrammes dessinaient des dizaines de cocons de vers à soie, dans lesquels on voyait par transparence les vers s'agiter.

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Mécénat d'aujourd'hui livre 1 domaine public 
Un peu plus loin deux peintures assez classiques se faisaient face. Mais l'usage de rehauts dorés et argentés faisaient penser à un Basquiat qui aurait fauté avec Murakami. Mon hôte me jeta un regard aigu lorsque je luis dis. Une grande sculpture de tête de chien en bronze, un genre de dogue noir, émergeait d'un socle. D'où j'étais, on voyait une petite main dépasser de la babine droite du chien. Une main de petit enfant. En faisant le tour de la sculpture monumentale, je découvris l'enfant, qui riait aux éclats, et dont le bras était entièrement dans la gueule du chien. La joie et la confiance du petit ne laissaient aucun doute sur la complicité avec l'animal. 
Puis une autre vitrine murale comportait une série de mobiles d'une grande marque diffusant des images dont le patchwork dessinait un livre du moyen-âge. Puis l'image changeait et on voyait une expo au japon, avec la même vitrine et des visiteurs asiatiques regardant la même scène, en simultané. 
D'ici, j'apercevais la passerelle qui joignait le quai sur lequel j'étais et l'ancien quai d'en face. L'extrémité de celui-ci était aménagée pour le dîner de gala. Je tentais de déchiffrer une photographie codée lorsque quelqu'un me frappa violemment la tête.
Gabriel s'était retourné dans son sommeil, mettant d'une main innocente une fin brutale au mien. 
Je ne suis plus commercial depuis des années, et les meilleures oeuvres contemporaines sont visibles par tous à Beaubourg ou dans les musées de province, pas besoin de riche client mécène pour les voir. David Hockney est bien vivant, et personne ne contemplera jamais les "œuvres d'art" que j'ai vu dans mon rêve. 
J'aurais quand même préféré que Gabriel me laisse profiter du déjeuner gastronomique. 
Je ne sais pas comment lui expliquer qu'il me doit un bon resto.

mercredi 19 octobre 2011

DES AMPOULES ET DES CLICHES

Eh oui, l'été est encore là : grand soleil et 21°C à l'ombre par ici aujourd'hui,  alors les derniers clichés de l'été :  
- Combien de blondes faut-il pour changer une ampoule?
Aucune, c'est la nuit, il n'y a qu'à attendre que le jour revienne...Non?
- Combien d'hétérosexuels faut-il pour changer une ampoule?
Aucun, elles font chier ces meufs à parler pendant le match.
 - Combien de gays faut-il pour changer une ampoule?
Un pour l'ampoule, cinq autres pour commenter ses fesses.
- Combien de fils d'une mère juive faut-il pour changer une ampoule?
Aucun, ne t'en fais pas, je m'assiérai dans le noir, j'ai l'habitude. 
- Combien de psychanalystes faut-il pour changer une ampoule?
Aucun, l'ampoule se changera d'elle même lorsqu'elle sera prête.
- Combien de blogueurs faut-il pour changer une ampoule?
Un seul, les autres tapent frénétiquement sur leur ordi pour commenter l'info.

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Des ampoules et des clichés Boldini le hamac domaine public
- Combien de français faut-il pour changer une ampoule?
Aucun, ils sont déjà tous à manifester contre la panne.
- Combien de génies de chez Appeul faut-il pour changer une ampoule?
Aucun, l'obscurité est le nouveau standard révolutionnaire d'Appeul.(hommage)
- Combien de blonds faut-il pour changer une ampoule chez Agayfriday?
Aucun, dans le noir on est très bien avec un blond velu comme il faut.(Daniel Craig, si je peux choisir?)
- Combien de chinois faut-il pour changer une ampoule?
Un  pour changer l'ampoule, et un milliard fabriquent ou copient le modèle.
- Combien d'hommes politiques faut-il pour changer une ampoule?
Un seul à la fois, les autres sont occupés à faire basculer, scier, brûler l'escabeau, et à appeler un juge car l'ampoule a été corrompue.
- Combien d'américains faut-il pour changer une ampoule?
Un qui tient fixement l'ampoule, and the world tourne autour.
En attendant de devoir rallumer l'ampoule,  profitons encore un moment d'un bon fauteuil et des 24 degrés de la véranda, une dernière fois avant l'hiver...

jeudi 13 octobre 2011

ENFANCE PERDUE

Pour une fois papa et maman ont décidé qu'on allait se détendre à la plage après le travail. 
D'habitude je n'ai pas le droit de descendre, je dois rester dans le lotissement sur la colline. La plage est de l'autre coté, et si sans leur dire je descends souvent avec mon copain jusqu'à la route, je ne la traverse jamais. J'ai eu quatre ans il y a quelques semaines, mais je suis grand pour mon âge. 
Comme je suis en plus particulièrement éveillé, tout le monde me donne cinq ans et me parle gentiment, j'en suis fier. Maman ne dit pas que je suis éveillé, elle, elle dit que je suis "remuant", ou exaspérant, selon les moments. 
En arrivant sur le sable ce soir-là, on s'aperçoit qu'il fait déjà assez frais dans le petit vent, mais personne ne dit rien, pour ne pas gâcher. On étale les serviettes, je commence à creuser mon château, la tâche est d'importance. Eux sont assis, ils regardent la mer, et ma sœur s'occupe de son coté, elle est très vieille, elle a neuf ans. 
Les derniers touristes quittent la plage, mais nous ne sommes pas des touristes, nous vivons ici. Maman dit que le monsieur qui part là bas avec sa femme ne s'embête pas parce qu'elle a vingt ans de moins que lui, elle s'est mariée pour son argent. Je réfléchis, puis je dis clairement et d'une voix forte : "Moi quand je serai grand, Maman partira, et je me marierai avec Papa.". Je suis content de moi, mais en regardant leur air surpris, mes certitudes se lézardent.

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Enfance perdue livre 1 Franz Marc domaine public
Maman crie à Papa qu'il ne va pas me laisser dire n'importe quoi. Papa s'approche de moi et la calotte que je prends sur l'oreille me rend sourd de ce coté-là. Puis il crie lui aussi "Mais c'est pas vrai, qu'est-ce qu'on a fait pour mériter ça?" et il frappe mon coude de l'autre coté. 
Il a raté l'autre oreille parce que j'ai mis mes deux mains dessus. Elle hurle "C'est dingue, c'est le diable ce môme". Je n'arrive pas à prévoir où vont tomber les coups, sauf que je crois qu'il alterne droite et gauche. Il a des morceaux de bois dans ses mains, j'ai des sensations de battoirs qui me heurtent, mes yeux sont fermés et mon nez touche mes genoux. A nouveau la voix de Papa "J'en peux plus de ce gosse, je vais le tuer". J'ai mal et j'ai du sable qui vole dans mon nez. Je crois que je vais mourir avec un goût salé dans la bouche. Je serre tout, mes yeux, mes mains sur ma tête, mes genoux sur ma poitrine. Ça n'arrête pas, ça n'arrêtera jamais, je ne tiendrai pas, je ne quitterai pas cette plage, je ne reverrai pas la maison. Et finalement ça s'arrête. 
J'attends un peu et j'écarte les mains, j'entrouvre les yeux. Je croise à travers le brouillard les yeux de hibou de ma sœur. Elle a les yeux si grand ouverts qu'ils sont ronds comme des calots, et on dirait que de grosses cernes sont nées en quelques secondes. Elle ne cligne pas, son corps est figé comme une statue. Une vague de douleurs venues de tous mes membres me submerge brusquement...Je ne vois plus rien. 
Je me réveille dans mon lit, j'ai mal partout. Je tressaute au moindre bruit, au moindre mouvement mes mains reviennent sur ma tête. Je suis sur le qui-vive, sans pouvoir me calmer vraiment, jamais.
Moins de deux mois après, mon copain meurt inexplicablement. Lui on le met dans la terre. Pour toujours je serai sur mes gardes. 
C'est que la vie, c'est très dangereux. 

vendredi 7 octobre 2011

SCENE DE MENAGE

Avec les couples non-gay forcément nous étions un peu plus réservés. Sauf Cyriel et Doriane, un couple uni qui nous était plus familier que les autres. Ce soir-là, nous sommes arrivés très simplement vers vingt heures pour un dîner de copains. Accueillis avec chaleur, nous fréquentions leur appartement depuis des années. On se faisait la bise quatre à quatre sans chichis. On ne se tapait pas sur l'épaule, mais le cœur y était.  
Il faut dire que cette union-là pour nous c'était celle du soleil et de la lune, la complémentarité parfaite entre la personne qui rayonne à l'extérieur et celle qui vous enrichissait à l'intérieur. Cyriel jouait la comédie, un peu dans la vie et beaucoup sur les planches des théâtres. Doriane quant à elle, gérait  "une structure associative". Autrement dit, elle faisait la comptabilité pour une association de droit au logement. Et les discussions étaient toujours animées et franches. 
Ce soir-là, pourtant, il y avait un malaise. Cyriel, qui avait préparé le repas, faisait le service avec précipitation, en nous noyant sous les sujets de conversation. C'était curieux, car nous n'avions pas le temps de répondre avant qu'on ne change de thème.
- Et vous avez vu les derniers films au cinéma?
-...
- Vous savez que je joue du Feydeau en ce moment? il est génial ce Feydeau, pas pris une ride.
Et le monologue continua, devant trois convives muets. Nous imitions les cyprins dorés dans leur bocal lorsqu'ils relâchent une bulle d'air gobée en surface. Nos bouches s'ouvraient et se fermaient en cadence sans émettre un son.
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Scène de ménage livre 1 Franz Marc domaine public
En fait, Doriane ne paraissait guère surprise. En la regardant attentivement on voyait qu'elle boudait. Nous tentions d'en placer une, Doriane se renfrognait, et Cyriel occupait le terrain.
Nous n'avions pas le temps matériel de finir nos assiettes avant que Cyriel nous les enlève. Super soirée. Je tentais de me rappeler le dernier dîner, pour savoir si j'avais encore fait une bourde, au cas où. En bon spécialiste des gaffes, avais-je mis les pieds dans le mauvais plat? Dans le genre "Mais maintenant que les enfants vont à l'école, tu vas enfin pouvoir finir tes études". Dans ma tête les choses sont souvent trop simples.
Mais à l'occasion d'un aller-retour de Cyriel dans la cuisine, Doriane décrocha enfin la mâchoire.
- On se sépare.
Trois mots et ce fut tout. Cyriel revint, le jeu de masques reprit. Comment deux personnes si bien ensemble depuis si longtemps pouvaient-elles se séparer?
Et finalement, on a su le fond de l'histoire. Cyriel avait pour partenaire dans le Feydeau une jolie comédienne à laquelle Doriane était fort tentée d'arracher les yeux. Elle s'était retenue jusque là, mais en ce jour de relâche la dispute avait mal tourné. D'autant que ce n'était pas la première fois, mais sans doute la dernière.
Le repas s'est fini de la même manière, et on s'est éclipsés. Depuis une copine m'a raconté une sévère scène de ménage en public pour le même genre de raisons, et j'ai compris que cette soirée -là s'était bien passée. Même dans la trahison et la crise, ce couple là était resté civilisé. 
Néanmoins on croit bien connaître des personnes, on voit un couple comme une entité indivisible,  et on découvre que malgré leur amour l'une est multipartenaires et pas l'autre. 
Et que ça pose problème, y compris chez les lesbiennes. Pourquoi rien n'est-il simple?